Il était une fois, un papillon qui s'appelait Joe et qui jouait du cordophone.
Le cordophone, instrument très populaire dans le monde des insectes, était composé d'écorces d'arbres, de nervures de feuilles et de files de toiles d'araignées tendus. On utilise ensuite une brindille appelée cracovribr'. Au frottement de cette brindille, les fils d'araignée de mettent à vibrer et produisent un son inoubliable. Tout le gratin de la haute société insecte se délectait de concerts de cordophones.
Joe ne quittait jamais son cordophone, il dormait avec, faisait ses courses avec, allait voir ses amis avec. Il cordophonait toute la journée, la nuit...dès qu'il pouvait.
Joe avait élu domicile en ville, sur un balcon, dans une petite jardinière peuplée de fleurs ordinaires et près de ses amies araignées qui réparaient son cordophone. Il y était bien. Le soir, assis sur son fauteuil géranium, il se délectait d'un bon morceau de musique en regardant le coucher du soleil sur la ville.
Un jour, Gabrielle la sauterelle entendit parler de Joe et de son cordophone. On lui avait dit qu'il jouait d'une manière merveilleuse et que sa musique réchauffait les cœurs. Elle se mit donc en quête de le rencontrer, d'aller à un se ses concerts ou d'espionner son voisinage à l'affut d'une note perdue. Mais il ne se passa rien! Pas un concert n'était annoncé, pas une note de musique ne s'échappait de son balcon. Le silence total...
Joe le cordophoniste existait-il vraiment? N'étais-ce pas tout simplement un mythe ou une légende?
Elle alla mener son enquête auprès du voisinage. Là elle rencontra José, le grand père cafard du quartier.
- « Ah, ma p'tite dame », lui dit-il, « cela fait plus d'une semaine que personne ne l'a entendu jouer. Moi qui aimait tant l'écouter ça me donne le cafard. Mais, peut être pouvez-vous lui rendre visite? Il habite au cinquième étage. »
Voici donc notre petite sauterelle gravissant les étages à la rencontre de Joe le musicien.
Lorsqu'elle arriva, elle trouva Joe complètement déprimé, abattu, il sanglotait.
- « J'ai perdu mon cordophone », lui expliqua-t-il, en reprenant son souffle. « Hier, alors que je faisait la sieste sur mon géranium préféré, j'ai entendu des pas près de moi. Lorsque j'ai ouvert les yeux, mon cordophone avait disparu. »
-« Tout cela est bien mystérieux, s'écria le jeune sauterelle. Une enquête s'impose. Commençons par rendre visite aux habitants du quartier. »
Ainsi, voilà nos deux compères partis à la recherche du cordophone perdu.
Ils rencontrèrent tout d'abord Léon le bourdon qui vivait sur le balcon d'en face.
- « C'est curieux! », leur dit-il. « Eloi le ver à soie à justement perdu son métier à tisser de la même manière. Peut être devriez-vous lui rendre visite? »
Eloi, le ver à soie vivait dans une boite à chaussures à deux balcons de là. Lors de leur arrivée, Gabrielle et Joe le trouvèrent tout agité.
- « C'est terrible », leur dit-il. « Mon métier à tisser a disparu et le chevalet de mon amie cochenille aussi. »
Cochenille était une jeune peintre adepte d'aquarelles. Elle réalisait de magnifiques tableaux tout en couleurs. Alors qu'elle sortait son puceron domestique, elle s'était fait dérober son précieux chevalet.
Gabrielle, intriguée, se demanda si tout ces vols avaient un lien les uns avec les autres.
- « C'est beaucoup trop fréquent dans le quartier, il y a forcément un seul et même voleur derrière tout ça... »
Au fils de leur enquête, Gabrielle et Joe rencontrèrent ainsi d'autres insectes qui s'étaient fait dérober un précieux objet. Il y avait Juliette, la libellule souffleuse de verre, qui avait perdu son bâton à souffler, Raymond le limaçon écrivain qui n'avait plus sa plume. Aline, la puce acrobate, s'était fait dérober son trampoline...
Le Mystère s'épaississait ainsi et nos deux enquêteurs ne comptaient plus les insectes déprimés, victime de ce mystérieux voleur.
Jusqu'au jour où Gabrielle et Joe, continuant leur tour du voisinage, rencontrèrent maître Youn, le scarabée qui tenait le restaurant japonais du quartier.
- « Il y a un entrepôt près d'ici », leur dit-il. « Depuis quelques semaines, on y entend de drôles de bruits, vous devriez aller voir. »
Chemin faisant, Gabrielle et Joe se mirent à entendre des sons grinçants et stridents qui s'échappaient de l'entrepôt.
- « Mais, c'est mon cordophone! », s'écria Joe reconnaissant le son de son instrument.
Aussitôt, les deux enquêteurs s'élancèrent dans l'entrepôt, bien déterminés à surprendre le vilain malfaiteur, voleur d'objets.
A leur grande surprise, le lieu était rempli d'objets incroyables. Ils y découvrirent le métier à tisser du ver à soie, la canne à souffler de la libellule, le chevalet de la cochenille... le lieu était plein à craquer. Le vilain avait une belle collection de vols à son actif. S'approchant à pas feutrés, ils découvrirent l'identité du voleur qui, ne s'apercevant pas de l'arrivée de nos deux amis, continuait tant bien que mal à apprendre le cordophone.
Il s'agissait du scolopendre. Ce mille pattes venimeux était connu pour ses morsures douloureuses et craint de tous les insectes.
- « Je vous tiens », cria Gabrielle la sauterelle, bondissant sur le scolopendre pour l'immobiliser. Ni une, ni deux, l'insecte se retrouva prisonnier de nos enquêteurs, tentant en vain de se débattre pour s'échapper.
Gabrielle et Joe l'interrogèrent sur la raison de ses crimes.
- « Je suis jaloux », leur expliqua le scolopendre. « Je déteste les autres insectes de mon quartier. Ils ont tous un beau talent: de la peinture, de la musique, du tissage, de l'écriture.... et moi, personne ne m'aime. Je ne sais rien faire, je suis juste bon à empoisonner les gens avec mon venin. Je voulais vous rendre tristes pour que vous compreniez comme c'est dur pour moi d'être un scolopendre. »
Le scolopendre fut remis aux mains des insectes gendarmes. Il fut condamné à rapporter tous les objets volés à leurs propriétaires. Il lui faut également attribué une période de travaux d'intérêt général où il dut tricoter dans un couvent, auprès de mantes religieuses, des pulls et des chaussettes pour les insectes frileux de l'hiver. Notre scolopendre fut tout de même ravi de cette période, il apprenait enfin à faire une activité manuelle et les religieuses étaient très gentilles.
Joe et Gabrielle, furent heureux de se dénouement. La sauterelle put enfin dire au petit papillon la raison de sa venue.
- « On m'a dit que tu jouais du cordophone comme personne », lui expliqua-t-elle. « Je me suis déplacée de loin pour t'entendre. Pourrais-tu m'interpréter un petit morceau? »
Ainsi, Gabrielle put observer Joe le papillon jouant du cordophone et virevoltant dans les airs. Il était éblouissant et sa musique réchauffait les cœurs. Elle comprenait pourquoi il avait une telle réputation.
Cette histoire s'achève autour d'une grande fête, organisée par les habitants du quartier de Joe. On y retrouve cochenille, Eloi le ver à soie, Juliette la libellule, Raymond le limaçon, José le grand-père cafard et bien d'autres encore. Tous organisèrent un grand feu de joie en l'honneur de cette enquête élucidée et du retour de leur précieux objet. Tendez l'oreille, je crois qu'on peut entendre leurs éclats de rire qui résonnent au détour d'une petite jardinière remplie de géraniums.